Lettre ouverte à M. Manuel Valls, Premier Ministre
By glazou on Thursday 23 April 2015, 10:18 - Franchouillardises - Permalink
Monsieur le Premier Ministre,
L'industrie de l'Informatique et du Numérique est, par construction, une industrie largement apolitique. En effet, toute notre formation, toutes nos habitudes, toute notre éthique nous entraînent en général vers la solution la plus propre, la plus propice et la plus respectueuse de l'usager, indépendamment de qui la propose. C'est pourquoi c'est sans aucune visée politicienne que nous nous opposons aujourd'hui fermement au Projet de Loi sur le Renseignement porté par votre Gouvernement.
Passe encore que ce projet soit digne des néoconservateurs américains des années Bush, encore qu'il soit choquant qu'il soit porté par une Gauche française se réclamant de l'Humanisme.
Passe encore que vous fassiez fi des avis techniques éclairés dont nos experts vous ont pourtant abreuvé, soit en direct, soit via la représentation parlementaire, soit via une instance comme le Conseil National du Numérique, depuis des mois.
Mais il est hors de question d'accepter la surveillance de masse automatique des citoyens français que votre projet de Loi prône. Nous comprenons parfaitement que les boîtes noires existeront toujours, le travail des Services de Renseignement étant, comme un certain Colonel Moreau me l'avait précisé il y a bien longtemps, de fournir au Gouvernement les informations et actions que la Loi ne permet pas aisément voire pas du tout. De là à institutionnaliser l'écoute systématique de l'ensemble d'une population, il y a un pas que notre industrie n'est pas prête à franchir.
Vous avez déjà vu la réaction de nos hébergeurs de données prêts à se délocaliser au-delà de nos frontières, certaines de ces entreprises rarement mentionnées étant à la pointe de la technique mondiale, connues des offreurs de service dans le monde entier pour leur qualité. Vous avez pu lire la réaction de Mozilla, l'un des grands acteurs du Web et de l'Internet et ardent défenseur des libertés individuelles sur les réseaux. Vous avez pu prendre connaissance de l'article du New York Times fustigeant ce projet ou encore la réaction du Conseil de l'Europe. Le prestigieux Groupe d'Architecture Technique du World Wide Web Consortium, qui préside les évolutions techniques des Standards du Web, est même en train de discuter une réponse formelle à votre projet. Plus de cent dix mille citoyens et plus de cinq cents acteurs français du Numérique ont déjà exprimé leur opposition à votre projet, en dehors de tout initiative politique partisane.
La France, qui tente de porter partout le phare des Droits de l'Homme, est aujourd'hui la risée de la planète, pointée du doigt pour un jusque-boutisme déplacé et liberticide, s'offrant pratiquement le droit d'ouvrir toute communication sans intervention judiciaire.
Les investissement étrangers dans le numérique en France, déjà anémiques depuis l'action malencontreuse de M. Montebourg en protection de Daily Motion, vont drastiquement s'en ressentir. Alors que l'État a suffisamment pesté contre les écoutes américaines pour initier un programme (totalement stupide, mal ficelé et atrocement coûteux mais cela est une autre histoire) de Cloud dit souverain, nous ne pouvons être que choqués par une initiative qui vous donnerait légalement des pouvoirs d'écoute encore plus grands, au nom de la sécurité. Or l'équilibre entre libertés individuelles et nécessaire sécurité est fragile, et votre projet de Loi le modifie profondément, menaçant les fondamentaux économiques de notre industrie. Cela reste un élément tout à fait secondaire face à la menace pesant sur les libertés des citoyens, mais tout de même.
Je vous rappelle que l'industrie de l'Informatique et du Numérique est la seule industrie dans laquelle on peut se lancer avec quatre cents euros : l'informaticien a besoin d'un ordinateur, d'une table, d'une chaise, d'une connexion à l'Internet et d'un cerveau en état de marche. Une telle industrie, porteuse d'un ratio potentiel/investissement colossal, doit être soutenue et favorisée et non pas fragilisée.
Soyez certains que nous utiliserons nos talents, nos innovations, et surtout nos codes pour lutter contre votre projet. Nous ferons essaimer les technologies de chiffrement des messageries électroniques au-delà des cercles peu étendus actuels, nous inventerons de nouvelles techniques de contournement pour les accès au Web, nous ferons percoler des applications connues des seuls initiés dans le Grand Public. Nous communiquerons tous azimuts contre ce projet, et nous nous ferons entendre dans les prochaines campagnes électorales, interpellant directement vos candidats. Nous utiliserons tous les moyens légaux à notre disposition pour préserver les libertés individuelles dans ce pays.
Notre industrie est non seulement apolitique, mais elle fonctionne également - pour les mêmes raisons profondes - à la confiance. Le pont de confiance qui a pu exister entre notre industrie de l'Informatique et du Numérique et votre gouvernement n'est pas entamé, Monsieur le Premier Ministre. Il est rompu. Et c'est pourquoi, dans une référence que toute notre industrie comprendra, nous vous disons, tel un Gandalf face au Balrog sur un même pont :
Vous ne passerez pas.
Daniel Glazman
Comments
Entièrement d'accord. Ce gouvernement ne se rend même pas compte que les moyens qu'ils veut mettre en place les éloignent des buts qu'il prétend vouloir atteindre. Pour le moment, dans le flux des communications numériques qui sont d'ores et déjà observées par de nombreux acteurs, dont la police et les services spéciaux, celles qui sont chiffrées se voient comme des mouches dans du lait. Le lait va être converti en mouches.
Il y a une chose qui me fait mal au ventre. Depuis les attentats de janvier le seul avis dont se préoccupe le gouvernement est celui de la maison chaussettes à clous et de ses épigones les plus hystériques.
Je suis d'accord à 100% sur le fond. Mais, hélas, je ne suis pas aussi affirmatif que vous : passeront-Ils ? Selon moi, Ils ont des moyens HENAURMES et ANTI-DEMOCRATIQUES pour faire passer des lois, le plus souvent dans l'idifférence générale. Jusqu'à quand ? Ben... je vous le demande !
je suis entièrement d'accord sur l'idée que le projet de loi est mauvais par contre je trouve que la forme de cette lettre est pour le moins inapproprié : si l'objectif est de ne pas être pris au sérieux il sera à coup sur atteint.
On a l'impression de lire un tract "politique" avec plein de vent et des bravades alors que, à mon avis, pour avoir une chance de porter, il faudrait avancer des arguments solides et étayés (par exemple en lieu et place des poncifs sur les investissements étrangers qui semblent être une vérité sortie d'un chapeau)
Et je ne parle pas de la conclusion finale : il est évident que s'adresser à un premier ministre en citant Tolkien est le moyen le plus abouti pour être crédible...
Au final je souhaite me tromper et que ce message porte car cette loi liberticide me désespère mais j'en doute..
Bonjour,
Bien qu'entièrement opposée à cette loi idiote et futur gouffre financier, je voudrais remarquer ce qui me semble être deux erreurs, ou au moins, deux points discutables :
1 - Apolitique ? Sysadmin Unix depuis des années, je prone le partage des connaissance, la liberté du code, le m'oppose aux brevets : ce n'est PAS apolitique. Que les jeunes informaticiens soient (et je serai tentée de le mettre au conditionnel) des égoïstes, individualistes, prêts à sacrifier la liberté au profit du "confort" (macOS, windows) : c'est un grave problème, et pas une solution. Je me sens responsable de n'avoir pas suffisament transmis cette culture quand j'en avais l'occasion.
2 - Pourquoi, mais pourquoi aller demander aux faiseurs de problèmes (les politiciens et leur clique) de nous fournir les solutions ? C'est à nous même, en temps que groupe, de prendre conscience de nos forces, et d'organiser des actions, par la base. Et je ne parle pas de faire la révolution virtuelle en cliquant. Il Faut une réponse politique qui casse le système pseudo-démocratique en s'organisant à la base.
S'il vous plait, usez de votre influence pour appeller les informaticiens (et les autres) à se bouger vraiment et à montrer l'exemple : nous pourrons (ça m'étonnerait beaucoup mais...) arrêter cette loi, mais si nous ne nous attaquons pas à la cause, c'est peine perdue.
Cette loi Renseignement c'est tout simplement la mise en place de la STASI 2.0