Copie numérique vs. copie analogique
By glazou on Thursday 25 November 2010, 13:56 - Franchouillardises - Permalink
J'ai donc promis d'aborder le sujet sur ce blog ; dont acte.
Je soutiens que la copie numérique n'est ni plus aisée ni plus répandue que la copie analogique de ma jeunesse. Je vais essayer de le prouver ci-dessous.
- les supports analogiques sont (étaient...) non seulement triviaux mais extrêmement peu chers à copier ; rien de plus facile que d'acheter en 1985 une cassette audio à 2 francs chez Tati, un double radio-cassette à copie directe à 150 Francs chez Darty (j'ai encore la facture du mien pour le prouver) et lancer une copie rapide.
- Les gamins qui vendaient ce genre de copie dans mon bahut les vendaient 10 francs et ça s'arrachait comme des petits pains chauds. Les copieurs ne faisaient pas une ou deux copies, mais des dizaines. Je me souviens parfaitement d'un album d'Earth Wind & Fire qui a atteint plusieurs centaines de copies vendues par un gamin et là je ne parle que de la cour de MON bahut. Il inondait tout l'Ouest de paris, du 6ème au 16ème arrdt.
- les supports analogiques ne demandaient quasiment aucune compétence technique pour la copie : quoi de plus simple que de mettre un support déjà enregistré, un support vierge et d'appuyer sur un bouton de copie directe, audio ou vidéo.
- certes les supports analogiques ne transitaient pas par l'Internet. Mais ils ont toujours transité par les clubs de location vidéo et les bibliothèques dont les fonds audio ont toujours été une source majeure de piratage. J'ai toujours vu des foyers littéralement inondés de copies pirates sur cassette audio ou vidéo de location en bibliothèque ou club video.
- je ne connais PAS UN SEUL enfant de ma génération capable de m'affirmer sans mentir qu'il n'a jamais enregistré les radios FM et partagé - illégalement donc - son enregistrement avec les copains/copines. Pas un seul. Je ne connais aucun adulte de la génération de mon enfance qui n'ai donné ou reçu une copie illégale d'une cassette audio. L'Asie et l'Afrique sont remplies de copies des K7 audio occidentales depuis les années 60.
- Certes on n'avait pas encore bittorrent ni les formats de données compressées, mais j'affirme que le piratage de musique était encore plus monnaie courante qu'aujourd'hui. L'aire de diffusion géographique d'une copie était seulement plus restreinte et la diffusion était moins rapide mais le piratage était bien plus commun dans l'ensemble de la population.
La copie numérique, elle:
- réclame du matos autrement plus complexe que le radio-cassette ; le piratage vient principalement des ordis connectés à l'Internet. On ne manipule pas un ordi sous Windaube et eMule comme on appuie sur la touche Record d'un radio-cassette. On ne casse pas les DRM d'un AAC comme on met une cassette dans une boom-box. Mon paternel, âgé de 82 ans, a déjà aisément copié des cassettes Philips dans sa vie ; si je lui demande de me sortir un MP3 de l'iPod que je viens de lui offrir pour m'en faire une copie, il va y avoir comme un blanc...
- il est donc techniquement difficile voire impossible de pirater pour une partie de la population qui avait autrefois possibilité de le faire ; la technique ne leur est tout simplement plus accessible.
Le piratage a changé de nature. Il s'est simplifié par certains aspects et considérablement compliqué par d'autres. Mais une chose est certaine : il est là depuis belle lurette et date de bien avant l'avènement de l'Internet. La faute, la très grande faute de l'Industrie de la Musique et du Film est d'avoir refusé pendant dix longues années de prendre en compte cet existant et d'être réellement pro-active. Aucune mesure de prévention ou d'accompagnement du passage au numérique n'a été prise par les majors. La prospective économique chez les majors, ça doit être réduit à un stagiaire qui porte le café et fait les photocopies. Tout CEO qui se respecte aurait du se rendre compte AVANT l'inondation MP3 sur Internet que la donne avait changé et qu'il fallait donc porter EN MASSE aux internautes des versions "light" des œuvres pour qu'ils soient naturellement attirés vers des versions plus complètes et de meilleure qualité. Inonder les serveurs de telles versions light dès le début aurait immanquablement noyé dans la masse le piratage de versions complètes. Mais non. On a préféré protéger, DRMiser, rendre les CDs illisible sur PC, etc. On a préféré un mode "sustain" à un mode "disrupt". Cela ne pouvait que se casser la gueule.
Ah, au fait, un léger détail que Nègre et Chulvanij aiment à répêter : certains téléchargeraient juste pour télécharger. Bon donc ils n'écoutent pas ce qu'ils ont téléchargé, c'est bien cela ? Donc ils n'auraient jamais acheté. Donc cela est sans effet sur l'industrie du disque. CQFD. Désolé.
Je n'aurai aucune mais alors aucune pitié pour les producteurs, les artistes, les ayant-droit et les collecteurs de droits. Tout ce petit monde a perdu ma confiance depuis l'instauration de la taxe pour copie privée et de toutes les tentatives ultérieures de ponctionner le contribuable en profitant de liens privilégiés avec le pouvoir. Qu'ils disparaissent, la nouvelle génération de l'industrie prendra la place bien vite... Ils croient vraiment que Spotify va s'arrêter à la distribution ? Faudrait être con, eh !!!
Mise à jour: Oncle Tom rappelle dans les commentaires que le piratage de logiciels n'a pas attendu l'Internet. Je plussoie à 100%. La Wildcard chauffait dans mon Apple ][ et les soirées du Club Microtel d'Issy-les-Moulineaux existaient avant l'Internet et les BBS...
Comments
À l'époque de l'Amiga, la copie allait déjà bon train (téléchargement via Minitel il me smeble, ou un autre système par modem).
Tout comme aujourd'hui, c'était un facteur de popularité pour les jeux en question.
On finissait toujours par les acheter / les meilleurs.
@OncleTom: oui, excellent argument, je mets à jour l'article
en 1990, j'ai copié la k7 de l'album "Appetite For Destruction" de mon cousin. J'ai diffusé la k7 à tout mes potes. Tous ont racheté l'album au moins une fois, mais aussi la suite de la discographie.
En 2006, j'ai copié les mp3 d'Audioslave, et c'était le même scénario, j'ai tout les CD.
La réalité, c'est que quand j'étais jeune, il y avait des vrais disquaires et des émissions de radios qui faisaient découvrir la musique.
Maintenant, la musique est vendu dans des supermarchés, dans des rayons ou je ne vais jamais, et il n'y a personne pour me suggérer un achat. Quant aux médias, ils sont saturés par 3 titres qui passent en boucle.
Je suis un fan absolu de musique, mais les ayants droits sont trop gourmands... Pour moi ex-client, le dialogue est rompu. Ils sont devenus des dangers en aidant le gouvernement a mettre des moyens de filtrage.
L'enregistrement de radios FM, copies de vinyls et CD sur cassettes ne sont pas illégaux. C'est de la copie privée et on acquitte une redevance — d'ailleurs instaurée suite à l'exercice généralisé de cette habitude somme toute bien naturelle —, en échange de l'abandon par les ayants droit, du droit exclusif d'interdire cette pratique dans un cadre privé.
Il n'y a plus de DRM sur les fichiers AAC vendus en ligne et rien n'est plus facile de les offrir à ses amis, je l'ai fait et c'est aussi de la copie privée. Je suis surpris que Daniel Glazman pourtant au fait de l'actualité technologique aussi bien que de la technique elle-même ne l'ait pas encore remarqué ou ouï dire.
Daniel Glazman revendique systématiquement en fin de page son droit exclusif sur le contenu de ses pages dont il interdit toute « reproduction partielle ou totale », c'est parfaitement légitime. Il est choquant qu'il refuse ce droit incontestable à autrui. C'est pourtant la base de la démocratie en plus d'être la loi.
Enfin il n'y a pas vraiment de problème de piratage et de droit d'auteur mais un défaut de rémunération sur les échanges massifs qui s'opèrent en réseau. Il faut assujettir à redevance et payer tout le monde comme on l'a fait pour les cassettes audio. Malheureusement les majors s'y refusent et elles préfèrent perdre, même en essayant de juguler inefficacement le phénomène comme avec Hadopi, mais en gardant la certitude d'être les seules à grappiller l'argent qu'on peut tirer du divertissement.
Enfin les majors ne sont pas près de disparaître. C'est risible et c'est un fantasme de geek qui court les forums et discussions mais un simple fantasme.
le seul argumentaire des vautours du disque est de dire que la copie de copie de cassette n'était pas terrible (même si on vendait des engins avec double lecteur/enregistreur de K7) mais avec toutes les médiathèques ou les copains, ce n'était pas dur d'avoir l'original.
Du temps des pc à disquettes il y avait copyIIpc qui permettait de dupliquer les disquettes en outrepassant les protections, J'ai pu, grâce à ça, pirater Turbo pascal, TurboC, et plein d'autres softs qu'on se passait entre copains (j'ai fini par acheter la plupart des softs lorsque la version suivante est arrivée). Ado, je n'ai jamais acheté une seule cassette commerciale, toute ma collection de musique était enregistrée depuis la radio FM et recopiée pour mes potes mais lorsque j'ai commencé à gagner ma vie, je me suis acheté la plupart des disques de mon adolescence. Je n'ai acheté la collection de Friends qu'après avoir enregistré depuis la TV la plupart des épisodes. Aujourd'hui je continue à télécharger de manière illégale ce que j'ai envie d'écouter ou voir mais quand ça me plait je finis toujours par acheter. Mais au moins je n'achète que ce dont j'ai vraiment envie ou besoin, le reste valse à la corbeille.
@jmax. Oui. Et arrêtons avec cet argument de la qualité de la copie.
La qualité de la copie des K7 était certes douteuse, mais pas beaucoup plus que celle de nombreuses copies numériques qu'on trouve aujourd'hui (e.g. encodages ridicules, screeners, ...).
Je pense qu'une bonne partie des gens se fout royalement d'avoir une copie parfaite.
Rappelons que la copie privée n'est qu'une exception au droit, et pas un droit à proprement parler.
On ne peut pas nous inculper pour copie privée, par contre on ne peut pas revendiquer le droit de copier pour soi.
Depuis la loi DADVSI, si on ne peut pas nous inculper pour copie à usage privé, on peut nous inculper pour piratage des verrous numériques.
Il suffit donc aux majors de verrouiller leurs CDs et il devient donc impossible de le copier légalement, même pour faire une copie de sauvegarde.
Par contre, on paye quand même la taxe censée compenser les pertes (dont l'existence reste à prouver) liées à la copie privée.
173 millions d’euros en 2008! pour compenser les effets d'une liberté qui n'existe pas vraiment.(source: http://www.copieprivee.culture.gouv...)
Mais ça n'empêche pas les majors de continuer à réclamer plus de sous...
Ca, mesdames et messieurs, c'est ce qu'on appelle : "le culot".
Glazou: ca me dégoûte autant de bons arguments ! Si jamais je te croise, je te droite ! :-)
"certains téléchargeraient juste pour télécharger. Bon donc ils n'écoutent pas ce qu'ils ont téléchargé, c'est bien cela ? Donc ils n'auraient jamais acheté. Donc cela est sans effet sur l'industrie du disque. CQFD. Désolé."
ENFIN ! Enfin quelqu'un qui a compris ... L'industrie musicale additionne les carottes et les Roll's Royce, divise par l'âge d'Eddie Barclay et transforme le tout en études, reprises par les médias et les élus les plus stupides.
Considérer que chaque téléchargement est un manque à gagner pour "l'industrie musicale" c'est considérer que chaque morceau qui passe à la radio est un clou dans le cercueil des artistes : stupide. Je télécharge, parfois légalement, parfois illégalement. Et à l'heure ou le cloud décolle se poser la question des fichiers est stupide : dans 15 ans ce ne sera plus des fichiers qu'on échangera, mais des urls.
Au passage on peut aussi noter que l'attachement au disque à quelque chose d'irrationnel : la musique existe depuis (au moins) le néolithique. Le disque a à peine un peu plus de 100 ans. A ce rythme, la prochaine étape consistera à taxer les livres pour financer les moines copistes et les tablettes en argiles.
Lorsque j'étais adolescent, au collège, j'étais animateur sur la radio de l'école (une des premières de ce type en france). Je peux affirmer que la copie allait bon train, tant au niveau technique (animateurs) qu'au niveau auditeurs. L'avantage était à l'époque que les titres passaient en entier sans coupure (pas de pub ou commentaire pendant la diffusion) :)
Je me souvient également d'un ami et de son pere qui disposait de deux magnétoscopes vhs et qui toute les semaines dupliquait les nouveaux films du vidéoclub local. je pense qu'il devait disposer d'une vidéothèque d'au moins 1500 cassettes :) Et tout cela dans un village de 5000 habitants environ.
En discutant avec un ami de ton billet il me fait remarquer qu'une des grosses différences est qu'avec l'analogique il faut avoir accès physiquement à un orignal ou une copie pour en faire une autre copie alors qu'avec Internet il suffit d'aller piocher sur bittorrent ou autre ce qui est plus simple que de ripper un dvd, récupérer des mp3 sur un iPhone, ...
par contre dans ce cas on ne "trouve" pas forcément tout.
et que dire du streaming qui rend les choses encore plus simple ?
@ Charlycoste
La copie privée est une exception au droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, vous avez raison. Il ne s'agit pas d'une taxe mais d'une redevance en contrepartie de l'abandon de ce droit exclusif par les ayants droit. Notez que si elle n'existait pas, ou plus, ce serait un retour à l'autorisation préalable — comme pour les pages de ce blog —, autrement contraignante, et je crois plus onéreux d'avoir à quémander par courrier l'autorisation de réaliser des copies. Par contre vous vous trompez, si la loi a introduit la protection juridique des MTP ou DRM, elle a aussi introduit dans l'article L311-4, ce paragraphe :
« [Le montant de la redevance] tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière. »
Si c'est DRMisé, pas de copie, pas d'argent. C'est logique on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Ceci pour tuer dans l'œuf de la discussion ce bobard populiste qui revient régulièrement dans les argumentations. Cela dit vous non plus n'avez pas remarqué que les DRM avaient été abandonnés sur la musique en ligne. J'avoue ne pas savoir si certains CD sont encore verrouillés n'en achetant quasiment plus.
Enfin comme beaucoup vous vous illusionnez en pensant que la plus grosse partie des sommes récoltées à ce titre iraient aux majors. Déjà elles ne sont provisionnées qu'à hauteur de 25% diminuées encore de 25% à réinvestir obligatoirement dans le vivant, la formation, etc. Ensuite toutes les productions anglo-saxonnes, sous copyright qui ne reconnait pas totalement les droits voisins et n'assure pas réciprocité pour les productions européennes aux USA et en Grande Bretagne en sont exclues du bénéfice. En conséquence, la plus grosse partie des catalogues des majors vendue en Europe — la copie privée existe dans 24 pays européens —, n'en touche rien.
Juste pour dire qu'il n'y a pas que ta génération qui a connu ça, la mienne (celle des années 80/90) aussi ;)
Tu as mis en mots ce que je pense depuis bien longtemps de l'industrie du disque, même si je serais un poil plus nuancier sur les artistes, à qui les majors imposent une façon de fonctionner (sauf ceux qui, comme Pagny, ou Naïm défendent l'HADOPI tout en ne vivant pas en France).
Je le partage sur mon facedebouc de ce pas ;)
Christophe.
Merci de m'avoir rappelé cette époque. Oui, nous les gamins échangions cassettes audios et disquettes 5 pouces pendant que les adultes s'échangeaient des vinyles dont les copies sur cassettes s'entassaient autour des chaînes hi-fi. Il nous arrivait aussi de photocopier au CDI les meilleurs planches de nos BD. Aux premiers temps des graveurs de CD, les gens se cotisaient pour en acheter collectivement, et ce n'était certainement pas pour faire des sauvegardes de leur comptabilité. Quant aux livres, ils ont toujours circulé de la main à la main, sans qu'aucun DRM ne vienne l'empêcher. Aucun rapport avec la piraterie là dedans, juste du partage. Partage avec les amis, les artistes n'y perdaient pas grand chose parce qu'on finissait toujours par acheter des versions originales de nos œuvres préférées, un fois qu'on en avait les moyens. Ceux avec lesquels aujourd'hui je n'ai plus envie de partager, ce sont effectivement les industriels, les marchands du temple, et de soupe. J'attends avec impatience qu'ils disparaissent et cessent de nous pomper l'air et de tenter de nous fliquer. La plupart des artistes que j'apprécie n'ont pas eu besoin d'eux pour commencer à créer, l'art leur survivra. Le Net, contrairement à ce que certains serinent, n'est en rien un danger pour la création, mais au contraire un média qui va lui permettre d'être accessible à davantage encore de gens. Quand à ceux qui craignent pour leurs rentes, ils finiront bien par aller faire un tour dans le /dev/null des Danaïdes.
Enfin comme beaucoup vous vous illusionnez en pensant que la plus grosse partie des sommes récoltées à ce titre iraient aux majors. Déjà elles ne sont provisionnées qu'à hauteur de 25% diminuées encore de 25% à réinvestir obligatoirement dans le vivant, la formation, etc. Ensuite toutes les productions anglo-saxonnes, sous copyright qui ne reconnait pas totalement les droits voisins et n'assure pas réciprocité pour les productions européennes aux USA et en Grande Bretagne en sont exclues du bénéfice. En conséquence, la plus grosse partie des catalogues des majors vendue en Europe — la copie privée existe dans 24 pays européens —, n'en touche rien.