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Grèce 2011

Après avoir lu des inepties du style "les dirigeants européens qui ont accepté de laisser entrer la Grèce dans l'UE n'ont pas contrôlé ses finances" en commentaire d'un article de presse, je crois qu'il faut rétablir quelque peu les faits... La Grèce est membre de l'Union Européenne depuis 1981, soit avant l'Espagne, le Portugal, la Suède ou même l'Autriche. Elle est membre de la zone Euro depuis 2001, et c'était la première extension suivant la création de la monnaie unique qui n'a pourtant pas été diffusée avant 2002.

La Grèce a dans son histoire des trauma qu'il est absolument nécessaire de connaître pour comprendre le pourquoi du comment d'une Grèce dans l'UE :

  • la vaste majorité des 2000 dernières années n'a pas vu de Grèce indépendante,
  • la Grèce est un des plus importants berceaux de la culture européenne, une des voies de sédentarisation et de diffusion de l'agriculture passant clairement par la Crète et la Grèce continentale,
  • l'indépendance de la Grèce a été obtenue par la révolution de 1821 contre le vieillissant (mais pas encore défait) Empire Ottoman, finalement aidée par la Russie et les pays de l'ouest de l'Europe, mais leur intervention a également installé une durable main-mise de ces pays sur la jeune Grèce,
  • le Traité de Lausanne de 1923 a causé des exodes massifs, les Grecs de Turquie et les Turcs de Grèce devant émigrer. Les effets de bord de ce traité se font encore sentir de nos jours, et Grèce et Turquie sont, je suis sûr que vous le savez, ennemis héréditaires. N'oublions pas que le contentieux remonte à très, vraiment très loin : on parlait grec à Constantinople/Byzance et c'est l'avancée turque qui a mis fin à cette hégémonie,
  • la population grecque est mélangée, même si c'est un vrai tabou de le dire... Grecs et Turcs se sont mélangés pendant des siècles, et les cultures se sont mutuellement influencées très largement au-delà du simple contact,
  • la Dictature des Colonels, pendant sept ans, a été largement appuyée, soutenue, aidée par la CIA et les occidentaux,
  • Chypre est divisée en deux, et reste le seul pays européen coupé par une ligne de démarcation surveillée par en permanence par les Casques Bleus. La partie nord de l'île, une république fantoche, n'a été reconnue que par la Turquie. La partie sud, membre de l'Union Européenne, est toujours amputée d'une partie de sa souveraineté par les deux grandes bases militaires britanniques d'Akrotiri et Hekelia.

L'entrée de la Grèce dans l'Union Européenne en 1981 et dans l'Euro en 2001 était absolument nécessaire, et tout le monde savait à ces deux moments que ce pays serait le maillon faible de l'Union. Je ne parle même pas d'une Grèce membre de l'espace Shengen et totalement incapable de surveiller efficacement ses milliers d'îles ou ses frontières avec l'Albanie et la Macédoine, chemins de contrebande depuis des centaines d'années... Les finances de la Grèce étaient parfaitement connues, ses tricheries comptables parfaitement non seulement vues et comprises, mais également acceptées et justifiées au vu de ce qui suit. La Grèce devait tout simplement faire partie de l'UE :

  • parce que son influence sur la partie hellénique de Chypre est déterminante,
  • parce que tout le monde savait que la Grèce irait jusqu'au veto à chaque fois que la candidature de la Turquie à l'Union Européenne serait évoquée, et que c'est exactement ce qu'on voulait. Refuser la discussion à la Turquie était impossible vu son importance et ses liens avec l'Europe, mais faudrait quand même pas espérer aller jusqu'à l'adhésion hein,
  • parce que l'Union Européenne était vue comme un des seuls remparts possibles à une reprise future des hostilités militaires entre Grèce et Turquie. La question n'était pas "si", la question était seulement "quand",
  • parce que les occidentaux ont beaucoup à se faire pardonner : absence de soutien initial de la révolution de 1921, soutien à la Turquie Kemaliste contre la Grèce, soutien aux Colonels, etc.
  • parce que même la Turquie moderne (Kemaliste) n'a jamais abdiqué la sphère d'influence de l'Empire Ottoman. Elle se veut toujours la référence, le soutien naturel, dans les soucis ou conflits affectant les anciens membres de l'Empire les plus proches géographiquement parlant de la Turquie. Rappelez-vous les livraisons d'armes turques en Bosnie, la main-mise de la Turquie sur la partie nord de Chypre, ou le rôle de puissance régionale que la Turquie essaye d'avoir désormais dans les conflits du Proche-Orient,
  • parce que la Grèce est en grande partie balkanique, et l'accroche de la Grèce à l'UE et son renfort en un pôle régional de stabilité entre Asie d'une part, Roumanie/Bulgarie d'autre part, et UE était vue comme l'encerclement par l'UE des pays balkaniques qui avaient déjà par le passé été une telle poudrière qu'on dit toujours qu'une guerre mondiale a démarré là-bas. Évidemment, l'UE avait oublié que la Grèce est assez xénophobe, qu'elle est farouchement orthodoxe et utilise régulièrement le biais nationaliste à des fins de politique intérieure. Au lieu d'ancrer la Macédoine, elle l'a isolée en FYROM. Quant aux conflits yougoslaves, la Grèce n'a finalement servi à rien, incapable d'utiliser son poids européen ou son orthodoxie même avec la Serbie.

C'est aussi pour cela que l'UE ne peut que soutenir la Grèce. Ne considérer que les causes économiques va trop loin, oublier la géopolitique est ici impossible. Évidemment, on n'en parlera jamais au peuple, il n'a pas besoin de savoir...

Comments

1. On Thursday 27 October 2011, 14:20 by gp

La Grèce est membre de l'Union Européenne depuis 1981 mais de la zone Euro depuis le 1er janvier 2001.

L’adhésion à l’euro est obligatoire pour les nouveaux membres de l’Union européenne, mais chaque pays en fixe la date et doit respecter les conditions économiques nécessaires.

Je précise pour que les gens ne confondent pas Union Européenne et zone Euro.

2. On Thursday 27 October 2011, 14:42 by Rouget

Enfin l'Europe c'est la paix. Dans ce cas on intègre bien des pays anciennement en guerre : suivant votre logique, on va refuser l'intégration de la Serbie parce que l'on va peut-être choisir la Croatie en 2013 ?

3. On Thursday 27 October 2011, 15:36 by DominiqueD.

OK, pour la Grèce dans l'UE. A la rigueur, la question n'est pas là.

Mais pkoi la Grèce dans Schengen ? Et pkoi la Grèce dans l'euro ?
Cela a obligé les grecs à être d'emblée aussi compétitif que des allemands... sans que les grecs gardent l'avantage de la dévaluation. Bref, pour le coup, on ne leur a pas rendu service.

Résultat : on est en plein mythe grec, coincés entre Charybde et Scylla, après que tout le monde ait pris cette faribole de zone euro uniforme comme réalité (en feignant d'oublier que, dés le départ, la zone euro n'était pas une «zone monétaire optimale»), et après que les grecs aient profité du parapluie allemand leur fournissant des taux d'intérêt bas et ont emprunté à tire-larigot, mais pas pour investir, les alternatives sont à peu près aussi pourries l'une et l'autre :

(a) soit la Grèce est contrainte de sortir de l'euro (défaut de paiement) et là, comme la zone euro est tendue comme une string d'une nana qui aurait abusé des graisses saturés, c'est l'effet domino (pertes pour les banques prêteuses + activation des CDS "défaut de paiement").

(b) soit la Grèce reste dans l'euro, mais il faut mettre en place des transferts de fonds massifs entre pays, et de toute façon, on est mal barré, car tous les pays sont de plus en plus à court d'argent, et on crée des montages de plus en plus abracadantesques pour masquer la course en avant, et pour éviter la perte du triple A qui ferait effondrer tout le système (tant il est déjà vermoulu, alors que l'on essaye de le cacher).

Franchement, les marchés n'adhèrent pas à la zone euro, ie. la zone euro comme «zone monétaire optimale». Comme il ne peut plus y avoir de dévaluation du franc par rapport au deutschmark, les tensions entre les 2 économies se ressenttent au niveau des taux d'intérêt du Trésor des 2 économies. Et de ce point de vue là, on bat de plus en plus des records d'écart car si l'Allemagne accumule les excédents commerciaux après avoir fait ses réformes, la France accumule les déficits rechignant en encore et toujours de faire sa réforme : http://chevallier.biz/2011/10/ecart...
Bref, derrière l'unanimité de façade, les fissures augmentent de plus en plus et appellent quoiqu'il en soit (IMHO) un changement majeur à venir : soit des réformes (en France) de très grandes ampleurs, d'une ampleur inédite, soit une fin de la zone euro (que cela vienne d'un pays de la zone euro déjà en difficulté) ou de la perte du triple A (qui ferait s'effondrer les montages financiers actuels car sans marge de manoeuvre, dans un contexte tendu).

[1] «Un accord trop court, peu détaillé, plein d'effets d'annonce» et «L'Europe a-t-elle encore les moyens de ses ambitions? Non, et le pb est que l'on se cherche des expédients pr cacher ce fait"» http://www.liberation.fr/economie/0...

[2] "L’€URSS est de plus en plus semblable à l’URSS : tout y est faux... €URSS : mort lente ou mort subite ?" http://chevallier.biz/2011/10/eurss...