Livre électronique, qu'est-ce qu'on a raté ?
By glazou on Monday 16 January 2017, 09:22 - General - Permalink
Studio Walrus vient de poser une EXCELLENTE question sur twitter :
20% des Français déclarent avoir déjà lu au moins en partie un ebook, mais 74% ne l’envisagent pas du tout. Qu'est-ce qu'on a raté ?
— Walrus (@studiowalrus) January 16, 2017
Je livre ci-dessous ma réponse, uniquement valable de mon point de vue, en quelques points :
- côté marché, le livre électronique est en général beaucoup, vraiment beaucoup, trop cher. Quand un livre papier est à 18€ et que sa version électronique, que l'on ne peut ni prêter, ni donner, ni léguer, ni partager, est à 14€, le client potentiel a l'impression (pun intended) qu'on se fout se sa gueule et il a totalement raison.
- côté technique, l'investissement R&D est bien trop maigre. Je pense en particulier à ce groupe majeur d'édition dont la page d'accueil Web est invisitable sans Flash... Comment espérer dans ces conditions que le Web et EPUB soient bien compris.
- EPUB est trop compliqué et les chaînes logicielles éditoriales sont du coup trop compliquées et surtout trop rares.
- je visite régulièrement des librairies où je flâne entre les rayons pour trouver mon bonheur. De temps en temps, j'aimerais pouvoir instantanément acheter en version ebook le livre que je tiens entre les mains mais c'est impossible... Les librairies sont faites pour vendre le papier, les sites Web et les devices le livre électronique. L'intégration n'est pas réalisée.
- je le répète, l'incapacité à gérer ses livres électroniques comme on gère ses livres papier (prêt, don, leg, partage) est un point bloquant majeur. Et je ne parle même pas de la sauvegarde définitive en local de ses livres électroniques...
- les liseuses de qualité restent très, très chères. Prenons l'exemple d'une Kindle Paperwhite. Entre 130 et 200€ si mes souvenirs sont bons. La Kindle Oasis commence à près de 300€ !!! C'est trop cher pour des livres électroniques dont le prix n'est pas très éloigné du prix papier. Il faudrait que les vendeurs de devices adoptent, par exemple, le modèle des imprimantes et de l'encre : machine très peu chère et consommables chers. Mais même comme cela, je crois que des ebooks non spécialisés au-delà de 10€ sont un modèle qui ne peut atteindre le plein succès.
- c'est aussi le vieux conflit entre le sustaining market et la disruptive innovation
- la lecture sur téléphone mobile est insupportable sur le long terme à cause du format d'écran, la lecture sur tablette est insupportable sur le long terme à cause du poids de la tablette d'une part et de l'autonomie batterie de la machine d'autre part. Seules les liseuses à encre électronique sont praticables.
- de nombreux ebooks ne se servent d'EPUB que comme packaging d'un formatage quasi-fixe, sans utiliser toute la puissance du Web. C'est parfois parce que les moteurs de restitution des liseuses sont mauvais, parfois parce que les éditeurs n'ont toujours pas compris comment réellement tirer parti de la technologie, parfois encore parce qu'ils ne veulent surtout pas tirer entièrement parti de la technologie...
- la qualité des ebooks n'atteint pas celle du papier. Sans parler des limites de la technologie, j'ai trop souvent vu des images de qualité réduite, des index manquants ou sans hyperliens (connerie sans nom !), j'en passe et des meilleures.
- et je n'oublie pas une espèce d'arrogance qui met une majuscule à « culture » quand elle est couchée sur papier
Comments
« La guerre et la paix » en livre électronique... Non merci ! Je me souviens avoir lu parmi les plus belles pages de Cavanna celles consacrées à la description et à la défense des métiers du secteur de l'édition, côté production. Il considérait ça comme l'aristocratie de la classe ouvrière, particulièrement le métier de correcteur, ce qu'il avait illustré en indiquant qu'il arrivait qu'un correcteur téléphonât à un académicien pour lui demander si ce qu'il considérait comme une faute de français ou d'orthographe, était volontaire. Tout ça s'est gentiment dissous avec la modernisation, entendre la recherche du profit maximal, dans un secteur en crise de manière endémique. Il ne faut pas oublier dans l'évocation des anomalies et aberrations qu'un des patrons d'entreprises éditoriales est le très éveillé Nono Lagardère.
Par contre je trouve les liseuses, et le travail d'édition qui va avec, particulièrement désirable dans le domaine des documents à durée de vie limitée. Par exemple celui des notices et des documents techniques, la technologie va à un train d'enfer, que j'aimerais pouvoir consulter sur, rêvons, une liseuse à peu près de format A4, modèle à encre électronique. Je dois être naïf, j'ai même cherché, avec mon acte d'achat potentiel sous le bras.
Hello,
La question est bonne, tes réponses aussi. Pourtant, pour le point #6, il faut noter qu'Amazon propose des liseuses à partir de 70EUR (comme le rasoir et ses lames), la Paperwhite est à 130EUR. Ces liseuses durent très longtemps : les miennes ont 4et 5 ans et servent toujours. Cela reste toutefois cher par rapport aux tablettes "Fire" qui sont équipées d'une variante d'Android, qui sont respectivement à 60 et 110 EUR, malgré leur puissance de calcul supérieure et leur écran couleur. Mais seulement voilà, elles sont fabriquées à plus grande échelle et sont plus favorables au commerce en ligne, donc mieux sponsorisées.
En ce qui concerne le point #11, il n'y a pas que l'arrogance. En tant qu'auteur, je constate que le fait que mon livre Surveillance:// soit sur papier fait qu'il dispose instantanément d'un plus grand prestige perçu. Est-ce lié au fait que normalement un livre papier passe par un éditeur, ce qui en ferait un gage de qualité ? Il faudrait creuser sur ce sujet.
--Tristan
J'ai acheté une liseuse Amazon à 30€, avec des pubs non intrusives, pour voir ce que donnait la lecture sur liseuse.
Et effectivement, j'ai *énormément* de mal à lire sur liseuse. Je retrouve les inconvénient du papier, sans les avantages de l'électronique (le seul réel avantage vu est l'accès ultra pratique à un dictionnaire).
Faible contraste, ergonomie exécrable (impossibilité de tenir l'objet à une main sans interagir avec l'interface, ou sinon, tenue douloureuse, nécessité des deux mains pour tourner les pages...), lenteurs... et il s'agit là que de l'experience utilisateur avec l'objet les problèmes d'écosystèmes étant particulièrement bien décrit dans l'article ci-dessus.
Au final, je me retrouve toujours à lire sur mon smartphone, en affichage inversé pour protéger mes yeux, parce que je n'ai que rarement la liseuse avec moi, que le smartphone est rétroéclairé, que je peux le tenir à une main sans soucis, tourner les pages avec la même main (même utiliser les boutons vol+ et vol- pour ça), que la latence est proche de nulle, que j'ai une synchronisation avec la bibliothèque de ma machine (sous Linux) directement... Les avantages sont légions.
Il y a un phénomène qui fait peut-être de moi un fossile intéressant à étudier plus tard, c'est la mémorisation que j'ai de la chose écrite. Il arrive, lorsqu'un passage d'un livre a attiré mon attention, particulièrement éveillé mon intérêt ou impressionné, que j'aie l'envie parfois des années plus tard de le retrouver. Si j'ai gardé l'exemplaire de départ je sais où le passage se trouve, grossièrement, dans le livre, si c'est sur la page de gauche ou de droite, si le passage est à cheval sur deux pages, ce genre de choses. Le grain du papier, parfois, le format du livre, toujours. Si j'ai lu quelque chose de marquant dan sun livre ou une revue, je me souviens de l'origine. Rien de tel avec la chose électronique. Déjà, les notions de page de droite, page de gauche... Le nombre d'informations saillantes que je me souviens y avoir lues sans être capable de me souvenir l'origine est impressionnant.
À Madrid, j'avais été frappé par le nombre de gens qui lisent sur une liseuse dans le métro. Liseuses d'aspect très citadin, avec des housses élégantes, on sent qu'on n'a pas affaire à des hackers ou des geeks, ou alors ils n'ont pas la même apparence par là-bas...
Nulle arrogance de ma part quant à la supériorité de la chose imprimée, mais le fait qu'un livre n'a besoin d'aucune médiation technique (si l'on excepte la correction visuelle) pour être lu me rassure instinctivement
J'ai une liseuse Pocketbook (~100€) que l'on peut acheter en magasin en France (donc en liquide si l'on veut) et qui n'oblige pas à avoir un compte chez un quelconque vendeur pour l'utiliser. En plus il y a des boutons suffisamment bien fait pour pouvoir lire et tourner les pages avec une seule main. Je continue à acheter des livres papier pour le plaisir mais je il m'arrive également de lire des livres numériques. Dans l'idéal je verrais bien un code ou une clef USB papier dans chaque livre (ou pour un euro de plus par exemple) qui fournirait la copie numérique (sans DRM) de l'œuvre lors de l'achat, ce qui permettrait de combiner plaisir du papier et faible encombrement pour la vadrouille.
Merci pour cette analyse à laquelle je souscris complètement, en particulier sur la question du prix. Les principales maisons d'édition en France n'ont pas voulu jouer la carte du livre électronique, par peur de la copie. Cela peut se comprendre, mais il y avait peut-être moyen d'étudier ce que l'on a fait pour la musique (les plateformes payantes telles que Itunes et autres) et faire de même.
Il me semble tout de même que si on ne réfléchit pas à une solution "sure" en terme de copie à moyen terme, l'ebook ne se développera pas auprès du grand public. Et c'est dommage, en soi, et accessoirement parce que c'est une partie de mon gagne pain...
Pour info, après avoir passé 5 ans à développer une petite activité éditoriale de vente d'ebooks, je suis en train de "revenir" au papier.
A propos du prix, cela peut donner des elements de reponse: http://mark---lawrence.blogspot.com...
L'auteur montre le "cost breakdown" pour un bouquin a $10. Je peux comprendre que les grosses maisons d'édition ont des couts plus importants et que l'auteur veut potentiellement gagner plus par copie.
Bonjour,
moi j'adore les epubs
et je lis maintenant principalement (exclusivement) sur tablette (samsung 10")
Je ne suis qu'un hobbyst, mais je crée mes epubs à partir de sites web, documents, cours pour pouvoir les emmener partout.
Par exemple, je suis en train d'apprendre le chinois: j'ai créé des epubs à partie des cours FSI, en intégrant l'audio. J'ai également créé des epubs à partir de cours de chinois vidéo (coursera et edX) en intégrant le texte, le son et la vidéo.
Je crée mes epubs avec Sigil et Calibre. Je génère aussi des epubs (pdf, html également) automatiquement à partir de sources en docbook (numérisation de cours de langues FSI et DLI) avec oXygen.( mais il me reste la personnalisation à faire (css))
Je n'ai pas testé Bluegriffon.
Une chose que je n'ai pas encore testée est la fabrication de tests interactifs (formulaires) et je en sais pas si c'est effectivement possible avec des epubs. (pour créer des exercices interactifs)
Il m'arrive d'acheter des epubs (techniques ou littéraires) mais ceux que je lis sont en majorité ceux que je crée.
Eric
J'ai acheté le premier et second Kindle, il y a bien longtemps. Mon problème à l'époque était que je ne pouvais pas annoter facilement au fil de ma lecture (je lis avec un crayon) et tordre les pages comme repères.
Le fait qu'un livre électronique ne soit en pratique qu'une location à grosso-modo le prix du papier fait aussi bien mal, je prête beaucoup mes livres.
Pour le côté instantanné, ma librairie locale et Amazon peuvent tous les deux me livrer un livre commandé en 24h, donc le format électronique n'a pas trop d'avantage niveau rapidité.
En Allemagne, j'ai un grand nombre de connaissances utilisant des liseuses, ils sont moins sensibles au côté "location" et les bibliothèques municipales proposent maintenant beaucoup de livres électroniques en emprunt. Les allemands consomment aussi énormément les livres audio, peut-être sont-ils plus ouverts aux formats différents. Je pense donc que le problème ne vient pas du format EPUB et de l'investissement technique dans le domaine.
Pour ma part, je suis attaché de manière irrationnelle au papier. Je suis plus concentré sur un livre ou un journal que sur un ordinateur, qui reste pour moi de la lecture "au kilomètre", "jetable".
En revanche, j'en avais achetée une pour mon fils, gros lecteur, en pensant pouvoir profiter des nombreux livres du domaine public (projet Gutenberg notamment). Mais comme ça ne l'a pas intéressé, j'ai dû acheter des livres ; et alors mauvaise surprise, impossible de débrouiller avec les DRM (j'ai dû pirater le livre que j'avais légalement acheté, un comble !).
Au final, la liseuse s'est cassée, et n'a pas été renouvelée. Nous achetons maintenant beaucoup de livres, neuf ou d'occasion.